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  • Photo du rédacteurSauvane Delanoë

Bref. J’ai pris un cours de chant.

Il est tard.

Enfin non d’ailleurs, il est 21h. Mais moi, à cette heure là normalement, je finis de dîner et je me vautre sur le canapé pour m’endormir devant un film que je regarde du coin de l’œil….

Et pourtant je suis là.

Dans un quartier pas forcément accueillant, surtout de nuit. Dans un bâtiment grand et labyrinthique, pour passer trois heures avec des inconnus enfermée dans un sous sol insonorisé.

Je ne viens pas adorer un gourou, m’épancher dans une réunion d’addicts anonymes ou poser nue pour un peintre renommé… ce que je fais me paraît finalement beaucoup plus impudique et beaucoup plus osé.

Je viens chanter…

Pire encore, je viens apprendre à chanter.

Je suis déjà souvent payée pour chanter dans mon métier, il m’est même arrivé de chanter en public… narcissiquement je vous avouerai qu’on m’a même applaudie.

Mais que suis-je sinon une imposture puisque je n’ai jamais appris à le faire? Somme toute, je vis d’ailleurs de plusieurs professions que je n’ai jamais apprises ailleurs que sur le tas, et pour lesquelles je n’ai jamais eu d’autre légitimité que mon CV.

Je n’ai jamais vraiment pris le risque de me confronter au jugement de mes pairs. Quand j’ai écrit mon opéra rock, je me suis choisie pour y chanter, mais d’autres m’auraient-ils choisie? Je ne le saurai jamais.

A quarante ans, comme on se pose beaucoup de questions (qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je, et qu’est-ce qu’on mange ce soir, entre autres….) la question « est-ce que je suis vraiment à ma place? » est forcément récurrente…

Je devrais me satisfaire, et je suis satisfaite, de la chance que j’ai et du plaisir que je prends à travailler dans ce métier si changeant et si capricieux…

Mais pourtant je suis là….

Je veux (enfin) savoir ce qu’on pense de moi.

En fait c’est son avis qui m’intéresse. Lui, c’est le « professeur ».

Être jugée, ou au moins évaluée, par quelqu’un que j’admire et dont je respecte le parcours. Je ne suis pas là pour Lui. Je suis là pour moi, mais parce que c’est Lui.

Il n’a pas à me mentir sur mes capacités pour me séduire et m’attirer dans sa classe. Il n’est pas vénal, et de toute façon pas assez cher pour que mon inscription soit un enjeu financier justifiant des flatteries.

J’ai lu sa vie. Je le soupçonne vif, efficace, exigeant à l’extrême, sincère à l’outrance. Un fils du métal et de Dr House.

Je ne suis pas déçue. La vie, le temps lui sont précieux, plus qu’à beaucoup d’entre nous. Il n’a pas une minute à perdre. Il est sans filtre. En état d’urgence.

C’est exactement de que je voulais. Je déteste les robinets d’eau tiède. Mais entre deux vocalises pour lesquelles je suis déjà tremblante, je sais que ma chanson approche, et j’ai peur. Peur de savoir ce que je vaux vraiment. Peur de sa vérité. Mais j’en ai très envie aussi.

Il y va donc d’une « audition » comme d’une première fois.

J’essaie de me donner des airs, de blaguer avec les autres, mais les premiers notes de la « complainte de la serveuse automate » arrivent et je sais d’ores et déjà que je ne contrôle plus rien. 3mn. Très longues. Et trop courtes.

Il me donne des indications. J’ajuste ma voix, mon son, mon sens, mes gestes.

C’est fini. Il dit qu’il a frissonné. Pas que mon interprétation ait été magistrale, non!!! Mais parce qu’il avait obtenu ce qu’il attendait. A cet instant T. À mon humble niveau. Il dit qu’il aurait préféré m’entendre sur les « adieux d’un sex symbol ». Je retourne m’asseoir avec le désir fantaisiste de la chanter avant la fin du cours. Je ne suis pas seulement fière. J’exulte. Dedans. Mais j’ai encore plus peur maintenant. Il a pour moi des ambitions vocales que je n’ai jamais eues. Se voir confier ce genre de monument de la chanson, c’est un peu comme se savoir désirée par George Clooney ou Brad Pitt (ou qui vous voulez d’ailleurs, mais vous aurez compris l’image).

À la fin du cours, je me lance. J’étais partie « serveuse dépressive », me voilà « image divine » (et je vous invite à chercher le vers suivant si vous ne le connaissez pas). Je ne pense plus à rien d’autre qu’à chanter. Je ne sais plus vraiment où je suis.

Sur les derniers vers, il prend le micro à côté de moi et il pose avec une extrême justesse de son et de sens une deuxième voix sur la mienne… je me sens chanter mieux. Parce que je l’écoute, et que la musique, le partage, porte.

Le seul conseil que j’avais jamais reçu en guise de cours de chant il y a presque 20 ans m’avait un peu déroutée. Je n’écrirai pas les mots précis, que j’aime autant garder pour moi, mais j’ai compris cette nuit là (oui il était très tard…) qu’en substance, chanter, c’est un acte d’abandon, de lâcher prise, d’impudeur totale. Et une poursuite du plaisir. Les gens de talent en donnent autant qu’ils en reçoivent.

Il me laisse seule sur les dernières notes. J’ai chaud, j’ai froid, je ne sais plus trop ce que j’ai fait, mais je l’ai fait…

Il veut bien que je revienne. Mes « devoirs » sont colossaux. Me poussent dans des retranchements qui me paraissent insurmontables. Il est sûr de lui. Si je n’ai pas confiance en moi, au moins je dois avoir confiance en lui…

Je suis peut être un peu à ma place.

En tout cas je suis là pour apprendre, et investir cette place avec assurance.

L’assurance d’une femme de 40 ans qui va peut être enfin découvrir qui elle est.

Tout ça grâce à un petit garçon de 8 ans qui a rencontré de grands bassistes, et m’a montré la voie… mais ça c’est une autre histoire….

Bref. J’ai pris mon premier cours de chant.

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